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2025年5月6日

Une expérience théâtrale avec le SPAC vol.4

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Miyagi a accepté que je participe en tant que singe dans le Ramayana. Il s’agit d’une très belle opportunité pour pousser encore plus loin mes recherches sur l’acteur-marionnette. En effet, en plus d’observer de l’extérieur, je peux également observer de l’intérieur en prêtant attention à mon ressenti et à mon corps dans le rôle d’un mover. Cependant, comme j’ai appris le théâtre avec une autre méthode et que ma langue est différente, j’ai pu observer des différences très intéressantes sur ma gestuelle et la façon dont je reçois la parole des speakers.
 
D’emblée, j’ai remarqué que le moyen d’apprentissage est fondamentalement différent. Comme pour le théâtre japonais traditionnel, la transmission se fait par imitation. Lors des premières répétitions, je me mettais toujours derrière pour pouvoir bien observer le mouvement des autres acteurs, que j’essayais ensuite de reproduire. Même si certains mouvements étaient assez laborieux au début, j’ai fini par m’adapter à la gestuelle du groupe. Même si mon niveau de japonais n’est pas très bon, j’arrive à comprendre et à assimiler la logique corporelle grâce à cette transmission par imitation.

À l’inverse, en France, dans la plupart des cas, il est presque impossible d’apprendre le théâtre par imitation. En effet, les méthodes de jeu les plus enseignées dans les conservatoires et les écoles de théâtre reposent sur le principe de « l’acteur incarné », d’après la poétique d’Aristote et la méthode de Stanislavski. Là où, dans le théâtre traditionnel japonais et dans le théâtre de Miyagi, « l’acteur est distancié » par rapport à son personnage (c’est-à-dire que l’acteur a conscience qu’il n’est pas le personnage), en France, on nous apprend à devenir le personnage et à confondre nos sentiments avec les siens.

L’acteur japonais est un acteur froid qui ne laisse pas son corps être influencé par ses émotions (attention, cela ne veut pas dire qu’il ne ressent rien), ce qui lui permet d’avoir une gestuelle précise, presque mécanisée, et qui sera quasiment identique d’une représentation à l’autre. Ce n’est pas lui qui transmet ses émotions au public, c’est le public qui projette ses émotions sur l’image qu’il a construite avec son corps.
Dans le cas de l’acteur incarné, l’acteur puise dans sa mémoire (on peut appeler cela un « grenier interne ») des émotions qu’il a ressenties à des moments précis de sa vie et qui pourraient s’approcher de celles que ressent son personnage, afin de tendre vers un jeu réaliste. La gestuelle n’est pas définie à l’avance (seulement les déplacements dans l’espace) et est complètement influencée par ce que ressent l’acteur sur scène à ce moment précis. Les performances seront donc toujours complètement différentes les unes des autres.
Autrement dit, les acteurs occidentaux ne sont pas régis par une « musique interne » comme les acteurs japonais, mais par leurs sentiments. Il s’agit donc d’un travail intérieur qui ne peut pas se transmettre en regardant simplement de l’extérieur. Pour pouvoir bien assimiler cette méthode de jeu, il est nécessaire d’avoir une certaine sensibilité émotionnelle et une capacité à convoquer des sentiments antérieurs.
 
Attention, il n’est pas question de dire qu’une méthode est plus simple que l’autre, puisqu’elles convoquent tout simplement des mécaniques différentes. Seulement, je trouve l’apprentissage par imitation plus accessible. Comme le disait Tadashi Suzuki dans Culture is the Body : au-delà des différences culturelles, des identités, des histoires propres à chacun, ce qui nous rassemble tous en tant qu’êtres humains, c’est notre corps. Un jeu qui repose sur la maîtrise du corps est donc beaucoup plus égalitaire qu’un jeu qui repose sur les émotions. N’importe qui, peu importe d’où il vient, peu importe qui il est, peut, avec de l’entraînement, obtenir une aussi belle précision du geste que les acteurs du SPAC.
 
Au SPAC, le corps est régi selon trois axes essentiels : le souffle, le flux des énergies dans le corps et le contrôle du centre du corps que l’on appelle centre de gravité. Le centre de gravité est situé en dessous du ventre, sur la même ligne que le début de l’articulation des jambes. Tous les membres du corps doivent être reliés au centre de gravité ; il est donc très important de le sentir en permanence. Pour interpréter les singes, le centre de gravité est toujours placé à ce même endroit.
Cependant, Yuzu Sato, qui nous regardait lors de la scène 2 (lorsque les singes découvrent la mer pour la première fois), a remarqué que ma posture était différente de celle des autres singes. Je pense qu’une des raisons est que j’ai été habitué à jouer avec un centre de gravité différent. En Occident, le centre de gravité est habituellement placé au niveau du diaphragme, en dessous de l’ouverture des côtes. La raison de cette différence peut s’expliquer historiquement par une hiérarchie différente entre le corps et la voix. En France comme en Occident, le texte est souvent considéré comme ayant une importance supérieure au corps, tandis qu’au Japon comme en Asie, il n’y a pas vraiment de différence hiérarchique entre ces deux éléments, qui sont donc souvent considérés comme étant au même niveau. Alors qu’au Japon le jeu corporel a un rôle fondamental dans la représentation, pendant très longtemps en France, le théâtre était surtout considéré comme un art déclamatoire. Il est donc normal pour les Occidentaux de placer le centre de gravité au niveau du diaphragme, puisque c’est le muscle le plus mobilisé lors de la déclamation.

 
J’oscille donc entre deux centres de gravité, ce qui me permet d’élargir le champ des possibilités du geste. Cependant, le point négatif est que je peux perdre l’équilibre facilement et que je me retrouve souvent dans des positions inconfortables et difficiles à tenir. Mais j’ai découvert que mes faiblesses pouvaient devenir une force. En effet, Miyagi nous a expliqué qu’un corps est toujours plus attractif pour le regard lorsqu’il se retrouve dans une situation désespérée. D’après lui, un corps plein de confiance est un corps ennuyeux. Si un acteur se retrouve dans une situation désespérée, le public va tout de suite se demander : qu’est-ce qu’il lui arrive ? Qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-il en train de voir ? Cependant, mes moments de détresse et d’instabilité sont dus majoritairement à des accidents, et même s’ils peuvent être beaux sur le moment, ils ne sont pas reproductibles. Un acteur expérimenté, lui, peut jouer avec ses limites pour se mettre en position de difficulté artificiellement et reproduire cela à chaque performance. C’est un but à atteindre pour moi.
 
Lors de la scène 2 (lorsque les singes découvrent la mer), Yuzu, qui nous observait en train de nous entraîner, a remarqué que, contrairement aux autres singes qui étendaient leur corps vers le haut pour faire ressentir l’immensité de la mer, moi, je regardais au niveau de mes pieds. Je pense que c’est parce que nos approches du rôle sont différentes. Les autres se sont demandés instinctivement : comment représenter avec mon corps un singe qui se retrouve pour la première fois devant l’immensité de la mer ? Alors que mon réflexe a été de ne pas penser avec mon corps, mais de me rappeler lorsque ma sœur et moi jouions dans les vagues quand nous étions petites. J’ai naturellement appliqué la méthode du jeu de l’acteur incarné sur mon singe en me disant : mon singe est comme un enfant de 5 ans, les enfants sont plus intrigués par les vagues qui leur lèchent les pieds que par la ligne de l’horizon. Je ne me suis pas rendu compte tout de suite que ma posture était complètement différente de celle des autres. Yuzu a trouvé que ma posture était bonne et permettait de représenter la mer en trois dimensions.
Alors que beaucoup de personnes pensent que ces deux méthodes de jeu sont l’exact opposé, je pense au contraire qu’elles sont compatibles et qu’elles peuvent beaucoup s’apporter l’une à l’autre.
 
Pour ce qui est de la façon dont je reçois la parole des speakers, c’est également très différent. Comme mon niveau de japonais n’est pas très bon, même si je connais bien la pièce, il y a beaucoup de mots que je ne comprends pas. Alors, lorsque j’entends une phrase ou un mot que je comprends, c’est comme s’il me tombait dessus, que cela décuplait sa puissance et qu’il arrivait vraiment à résonner dans mon être.
 
Le problème de répéter toujours le même texte est que l’on risque d’entrer dans un automatisme où l’on entend le texte sans vraiment « l’écouter ». Un texte n’aura jamais la même saveur que la première fois où l’on le découvre. Ce problème est commun à tous les acteurs du monde entier. Mais dans mon cas, j’ai remarqué qu’au fur et à mesure que j’apprenais de nouveaux mots en japonais, c’était comme si je découvrais le texte perpétuellement et que de nouveaux mots surgissaient du texte sans cesse. Je suis donc presque toujours dans une écoute du texte qui a la sensation d’une première fois.
 
Avant de venir au Japon, j’avais lu des interviews de Miyagi où il disait que les mots du texte devaient tomber comme de la pluie sur les acteurs ; j’avais du mal à comprendre ce qu’il voulait dire par cette comparaison. Mais maintenant, je comprends exactement sa pensée et je trouve sa comparaison très juste.
 
Pour les autres parties du texte que je n’arrive pas à comprendre en japonais (même si j’arrive très bien à me repérer grâce à la mémoire que j’ai du texte traduit en français), je trouve que cela est un bon support de jeu. En effet, les singes, aussi magiques soient-ils, ne parlent peut-être pas du tout la langue de Rama. Il y a certains mots qu’ils peuvent reconnaître (comme les chiens quand on leur dit « promenade » ou « dîner »), mais ils n’ont sans doute pas l’éloquence d’Hanuman. Alors, ils sont un peu comme moi. C’est-à-dire qu’ils essaient de comprendre ce qui se passe en interprétant le sens des gestes des autres. Par exemple, dans la scène 5, quand Hanuman revient de Lanka, Rama pleure la disparition de sa bien-aimée, et même si je ne comprends pas en japonais la plupart des mots qu’il utilise, j’arrive à voir sa souffrance et sa tristesse. J’ai donc remarqué que, par rapport à une pièce en français que je pouvais comprendre dans son entièreté sans faire trop d’efforts, ici mon écoute et mon observation du groupe se sont retrouvées améliorées.
 
Ça m’a donné envie d’un jour monter une pièce avec plein de gens de nationalités différentes qui ne parlent pas la langue les uns des autres pour les voir développer des moyens de communication autres que la parole, mais aussi pour voir comment ils reçoivent les mots dans la langue des autres. Bien sûr, Peter Brook a déjà mené des expériences similaires, mais ses acteurs parlaient tous anglais. J’aimerais pousser l’expérience beaucoup plus loin en montant une pièce avec des acteurs et un public qui ne comprennent rien des mots des uns et des autres. Chacun aurait une interprétation et une vision de la pièce complètement différente et les mots acquerraient une dimension différente.
 
Jouer avec le SPAC est un bon moyen d’apprendre à mieux utiliser son corps. C’est aussi une expérience intéressante pour comprendre la force des mots et de l’énergie collective. Le spectacle a beau être en japonais intégralement, cela ne m’a pas empêché d’y prendre part. C’est ça qui est merveilleux dans ce théâtre : c’est un théâtre inclusif et universel.

 

 
 

Janelle Riabi

 
Ramayana
https://festival-shizuoka.jp/en/program/ramayana/
Dates: 29 avril à 18h45, 2 mai à 18h45, 3 mai à 18h45, 4 mai à 18h45, 5 mai à 18h45, 6 mai à 18h45
Lieu: Momijiyama Garden Square, Sumpu Castle Park
Durée de l’événement: Environ 90 minutes
Langue: en japonais avec surtitres en anglais : En japonais avec surtitres en anglais
Siège: places réservées
Œuvre originale: Valmiki
Structure et mise en scène: MIYAGI Satoshi