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2025年6月2日

Une expérience théâtrale avec le SPAC vol.5

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 Jouer en plein air était une grande première pour moi. Certes, j’avais déjà joué dans des lieux non théâtraux, mais je n’avais jamais vraiment joué une pièce sous les étoiles. Et pourtant, l’expérience est radicalement différente de celle du jeu en intérieur !
 

 
 D’emblée, l’absence de murs venant enfermer la scène comme une cage offrait une liberté nouvelle, nous permettant d’explorer l’espace au-delà des limites scéniques. Le Ramayana a en effet proposé au public une expérience à 360°. Les acteurs pouvaient circuler derrière les spectateurs ou même à travers eux, ce qui rendait certaines scènes d’autant plus vivantes et immersives. Le camion des singes (dekotora) surgissait lui aussi de derrière le public, créant un effet de surprise. Ce sentiment de liberté a atteint son apogée lors de la bataille de Lanka, où les combats se sont étendus jusqu’aux arbres, à une cinquantaine de mètres derrière la scène.

 Les coulisses ne permettaient pas de dissimuler les acteurs aux yeux de tous, ce qui instaurait une sorte de jeu de cache-cache permanent. Cela impliquait que nous devions rester en jeu même en dehors de la scène. Ainsi, si un spectateur avait la curiosité de regarder ce qui se passait dans les coulisses, il pouvait être récompensé par la découverte de scènes secrètes. Par exemple, lorsque Rama danse pour prier le dieu de la mer (Bonten), les singes l’observent discrètement exécuter son rituel en coulisses. Cette transparence donnait un sentiment de réalisme beaucoup plus fort, en plus d’offrir la satisfaction d’avoir assisté à un moment caché que les autres n’auront peut-être pas remarqué.

 Jouer en extérieur implique aussi son lot d’imprévus : la pluie, le vent, la poussière peuvent affecter aussi bien les acteurs que les accessoires. Mais je pense que ce sont justement ces accidents qui soulignent la nature unique et éphémère du théâtre. Toute la richesse de l’art vivant réside dans un partage unique et privilégié avec un petit groupe de personnes. Les imprévus subliment ces moments de vie passés ensemble, en leur donnant une dimension plus authentique.
 

 
 Comme je le disais plus haut, jouer en plein air permet à la nature de devenir actrice du spectacle. Pendant toute la durée du festival, j’ai eu la chance d’expérimenter une grande variété de conditions météorologiques. J’appréhendais particulièrement l’idée de jouer sous la pluie. J’avais peur de ne pas pouvoir m’investir pleinement dans mon rôle, que l’eau m’empêche de garder les yeux ouverts, ou pire encore : tomber malade, glisser, me blesser.

 Et pourtant, une fois plongée dans l’action, j’ai ressenti quelque chose d’assez inattendu se produire dans mon corps. J’étais trempée, l’eau formait comme un voile froid sur ma peau, mais à l’intérieur, mon sang semblait bouillir. Cette sensation, d’abord étrange, est progressivement devenue très agréable. C’était comme si mon corps s’était transformé en onsen (source chaude) à la température parfaite. Alors que je craignais de ne pas réussir à entrer pleinement dans mon rôle, la pluie, contre toute attente, m’a soutenue en me connectant aux conditions naturelles que connaissent les véritables singes. Et au-delà de cette sensation physique, la pluie a, selon moi, renforcé l’intensité épique de la pièce. Je me suis alors surprise à penser : « Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il grêle, nous nous battrons pour sauver la princesse Sita ! Et rien ne nous arrêtera ! »

 Jouer en extérieur m’a aussi donné l’impression que les spectateurs n’étaient pas les seuls à écouter l’histoire du Ramayana. J’ai senti que les arbres, les animaux, l’herbe, les étoiles, et même la Lune, partageaient ce moment avec nous. À la fin de la bataille, lorsque les singes perdent l’avantage face à Indrajit, je viens m’adosser à un arbre. La position est difficile à tenir : les racines déséquilibrent l’appui au sol, et s’il a plu, celui-ci devient glissant. Pourtant, quand je sentais mes forces faiblir, j’avais l’impression que l’arbre m’encourageait, qu’il me transmettait de l’énergie, comme un allié silencieux.

 Dans mon rapport sur Kojiki – Yamata no Orochi, j’évoquais cette faculté qu’ont les acteurs du SPAC de sentir la présence des morts et des forces invisibles. Je n’avais pas réussi à en faire l’expérience lors de Yamata no Orochi, mais cela m’est arrivé pendant une représentation du Ramayana. Un jour, de nombreux akènes de platane se sont mis à tomber du ciel, et le vent s’amusait à jongler avec eux. J’étais côté jardin, là où se trouvent les instruments, observant la première scène. J’étais comme un singe veillant sur Sita pendant sa cueillette, caché dans mon arbre. Les akènes se sont mis à tomber sur la scène et, en reflétant la lumière des projecteurs, se sont transformés en une pluie d’or. Lorsque Sita a tendu la main pour cueillir une fleur, les paillettes dorées se sont écartées sur son passage puis se sont mises à tourner autour d’elle, comme si une main divine venait l’embrasser. C’était vraiment magnifique. Même si les akènes ont rendu le travail des acteurs plus difficile, je n’avais jamais assisté à un tel phénomène. À cet instant, j’ai pensé qu’une force invisible souhaitait raconter l’épopée du Ramayana avec nous. Peut-être que Rama lui-même était revenu pour revivre son histoire à travers notre spectacle. Tout au long de la pièce, la pluie d’akènes nous a accompagnés, et le vent la sculptait différemment selon les scènes. Lorsqu’Hanuman atteint Lanka pour parler à Sita, les akènes évoquaient les pétales du jardin, virevoltant et reflétant la lumière comme des éclats de lune. Lors de la bataille à Lanka, cette pluie dorée s’est transformée en pluie de cendres et d’étincelles enflammées. Et dans la scène de la disparition de Sita, j’ai vu cette pluie de pétales d’or s’infiltrer dans la fente, comme pour l’accompagner dans son voyage de retour à la terre.
 
 C’était une expérience enrichissante de jouer avec autant d’acteurs de tous âges réunis sur scène. Miyagi m’a expliqué que ce spectacle représentait une sorte de retour aux sources, en reproduisant le même processus de création que celui de la compagnie à ses débuts. Chacun a pu y apporter sa propre contribution, construisant ensemble une véritable œuvre collective. Le Ramayana est comme un grand tissu auquel chacun est venu broder un petit dessin pour créer le spectacle. Les acteurs les plus expérimentés de la compagnie ont transmis leur savoir-faire, leur méthode et leur énergie aux plus jeunes, comme Kazuha Nishide et moi. Ce retour aux origines se manifestait aussi à travers la réutilisation d’une musique issue du spectacle Électre, présenté en 1995 (il y a 30 ans). Sur cette musique, nous jouions tous ensemble du djembé, à l’unisson. C’était un moment fort, une belle métaphore de l’esprit du SPAC : une seule voix portée par une pluralité d’acteurs, un théâtre fondé sur la transmission, le travail collectif et la richesse de la diversité.
 

 
 Il y avait aussi quelque chose d’assez amusant dans le fait que les jeunes acteurs se soient vu attribuer des rôles de singes. En effet, j’ai lu que, dans le théâtre Nô, les tout premiers rôles confiés aux jeunes comédiens sont justement… des rôles de singes. J’ai trouvé ce parallèle très intéressant. Il évoque lui aussi une forme de retour aux origines, mais plus largement du théâtre lui-même.
 
 À l’heure où j’écris ces lignes, je suis dans l’avion pour retourner en France (et je dois avouer que ce n’est pas facile d’écrire avec toutes ces turbulences). Je tiens à remercier de tout mon cœur tous les membres du SPAC pour m’avoir permis de vivre cette expérience exceptionnelle. Les acteurs du SPAC sont tous des artistes remarquables. Ils m’ont beaucoup appris, notamment sur la manière d’utiliser mon corps dans le jeu. Ce spectacle a, à bien des égards, marqué des premières fois pour moi. C’était une belle aventure humaine. Je leur suis profondément reconnaissante de m’avoir accueillie avec bienveillance, malgré mes différences et mes difficultés à m’exprimer en japonais. Je me suis énormément amusée tout au long de la création, et chaque représentation a été un moment de pur bonheur.
 
 Merci pour votre accueil, votre générosité et votre gentillesse. Je n’oublierai jamais ce que nous avons partagé ensemble !
 
A très bientôt !

Janelle Riabi

 
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Ramayana
https://festival-shizuoka.jp/en/program/ramayana/
Dates: 29 avril à 18h45, 2 mai à 18h45, 3 mai à 18h45, 4 mai à 18h45, 5 mai à 18h45, 6 mai à 18h45
Lieu: Momijiyama Garden Square, Sumpu Castle Park
Durée de l’événement: Environ 90 minutes
Langue: en japonais avec surtitres en anglais : En japonais avec surtitres en anglais
Siège: places réservées
Œuvre originale: Valmiki
Structure et mise en scène: MIYAGI Satoshi